« Ce jeudi 17 avril 2025, au cours de notre arpentage de texte, nous nous sommes enfoncé·es dans le désert. Pas celui des cartes postales, mais un territoire aride tissé de décisions opaques et de routes sans horizon. Ensemble, on a arpenté les Accords Arizona, comme on suit une piste poussiéreuse sous un soleil trop lourd. Et ce matin, toujours rien d’autre que l’étendue chaude et sèche.
Et pourtant, une chasse aux œufs se prépare dans ce désert. Pas celle qu’on imagine, pleine de sourires et de chocolats. Non, ici, ce sont des œufs qu’on cache sous des barbelés, et des cloches qui résonnent comme des portes qui se ferment.
Là-bas, entre les cactus centenaires et les routes qui fondent sous le soleil, on imagine facilement une poignée de cowboys en costume-cravate, réunis autour d’une table bancale dans une station-service abandonnée, en train de négocier l’avenir.
Ils les ont appelés les « accords de Pâques ». Un nom presque affectueux, presque ironique… Là, au cœur de ce no man’s land imaginaire, ils ont scellé des décisions froides sous le prétexte brûlant de la nécessité. Ils nous parlent d’efficacité, de désengorgement, de pragmatisme,— comme on parle de tempêtes de sable : en prétendant qu’il faille les dompter ».

En effet, à l’occasion de ce que l’on a appelé très sympathiquement les « accords de Pâques » d’avril 2025, le gouvernement fédéral belge a entériné une série de réformes « pas très sympathiques » en matière d’asile et de migration.
Présentées comme pragmatiques et « absolument » nécessaires pour désengorger le système d’accueil, ces mesures traduisent en réalité un glissement inquiétant vers une logique de contrôle. Sous couvert d’efficacité, c’est une vision de la migration fondée sur la méfiance, la fermeture et la dissuasion qui se dessine.
Parmi les mesures phares, la limitation de l’accueil des demandeurs d’asile déjà protégés dans d’autres États membres de l’Union européenne est justifiée par la lutte contre le « shopping d’asile ». Ce terme, volontiers péjoratif, masque mal une réalité plus complexe : celle de parcours migratoires souvent marqués par l’errance, la violence et l’échec des dispositifs de protection.
Faut-il rappeler que le règlement Dublin permet aux États de renvoyer ces demandeurs vers le premier pays d’accueil ? Mais l’application mécanique de ce règlement ignore trop souvent la qualité réelle de l’accueil offert ailleurs. En Grèce, en Bulgarie, les conditions de vie dans les camps, l’accès à une procédure équitable et le respect des droits sont loin d’être garantis. En refusant d’examiner certains dossiers au nom de décisions prises ailleurs, la Belgique se lave les mains des responsabilités qui devraient lui incomber au nom de la solidarité et de l’État de droit.
Le deuxième pilier de cette réforme est l’accélération des procédures d’asile. Toute nouvelle demande sera désormais scrutée pour déterminer si une décision a déjà été rendue dans un autre État. Ce traitement en amont, s’il peut paraître rationnel sur le plan administratif, est problématique sur le plan juridique. Les systèmes d’asile européens restent profondément inégalitaires : ce qui est reconnu comme fondé en Belgique ne l’est pas nécessairement ailleurs. Une procédure rapide, fondée sur des décisions étrangères parfois opaques, expose les demandeurs au risque de ne pas pouvoir exercer pleinement leur droit à un recours effectif, garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En clair, on va plus vite, mais on va moins bien. Et ce sont des vies humaines que l’on engage dans cette course à la simplification.
Enfin, le durcissement des conditions du regroupement familial apparaît comme une autre concession faite à la rhétorique sécuritaire. Certes, le gouvernement assure que les cas des mineurs non accompagnés et des enfants handicapés seront pris en compte. Mais en durcissant l’ensemble du cadre, c’est le principe même du droit à la vie familiale, protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui est mis à mal. En restreignant les possibilités de rejoindre légalement un proche déjà installé, on ne fait que pousser davantage de familles vers des itinéraires clandestins, avec les risques que cela comporte.
En invoquant la saturation des centres d’accueil, en jouant sur la peur du débordement, on justifie des politiques de plus en plus restrictives, sans interroger les causes structurelles de la crise de l’accueil. Et pourtant, d’autres voies sont possibles : une meilleure répartition des demandeurs au sein de l’Union, un investissement accru dans l’accueil de qualité, une coopération équitable avec les pays d’origine.
La Belgique ne peut pas devenir le laboratoire d’une Europe forteresse où l’efficacité administrative prime sur la protection des plus vulnérables. Les « accords de Pâques » ne doivent pas être le symbole d’un renoncement. Ils doivent plutôt éveiller notre vigilance citoyenne et raviver le débat sur la place que nous voulons donner à l’humain dans nos politiques migratoires.
Fabrice CIACCIA
Directeur du Centre Régional d’Intégration de Charleroi
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