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Préjugés et fausses idées sur l’immigration et les immigrés, vecteurs de discrimination en matière d’accès à l’emploi

S’appuyant sur les informations de l’enquête européenne sur les valeurs (EVS), cet article porte sur les attitudes à l’égard des immigrés et particulièrement sur le lien entre les préjugés et les fausses idées à l’égard de l’immigration et la discrimination à l’égard des immigrés en matière d’accès à l’emploi. Notre analyse met en évidence qu’une proportion significative des belges partage certaines idées xénophobes. L’étude montre également que plus d’un belge sur deux se déclare être favorable aux pratiques discriminatoires de la part des employeurs à l’égard des travailleurs d’origine étrangère. L’estimation d’un modèle économétrique atteste que les mauvaises perceptions concernant l’importance de l’immigration et ses effets sur le pays, notamment sur la criminalité, le marché du travail et les finances publiques, jouent un rôle déterminant au niveau des préférences des individus pour cette discrimination.

 

Il existe un large consensus autour du fait que les migrants internationaux peuvent jouer un rôle important au niveau du développement économique et social de leur pays d’origine, notamment à travers les effets positifs des transferts financiers des travailleurs migrants1 sur la réduction de la pauvreté, sur la santé et sur l’éducation, notamment l’amélioration de la scolarité des enfants et particulièrement des filles. Les migrants peuvent également apporter un grand soutien à l’activité économique de certains secteurs2, favoriser le commerce, le transfert de technologies et le flux des investissements étrangers, compenser les déficits de la balance des paiements et réduire les pénuries en devises.

 
L’immigration transfrontalière engendre également de nombreux effets bénéfiques pour les pays d’accueil: combler, ou tout au moins atténuer, les pénuries de main-d’oeuvre au niveau de certains secteurs d’activité ou certaines professions, accroître le capital humain, atténuer le vieillissement de la population et ses effets sur les comptes de la sécurité sociale, en modifiant la structure par âge. Au-delà de ces effets, en tant qu’entrepreneurs et/ou comme consommateurs, les immigrés internationaux ont un impact positif sur les différentes composantes de la demande globale et, par conséquent, sur la création d’emplois et la croissance économique. Cependant, malgré les avantages potentiels de l’immigration pour les pays d’accueil, une proportion significative de Belges, comme les citoyens d’autres pays, considèrent l’immigration et les immigrés comme une source de problèmes, comme en témoignent les résultats d’enquêtes et de sondages nationaux et internationaux4. A titre d’exemple, si l’on croit les résultats d’un sondage en ligne, réalisé par Ipsos en juin 2011, sur les opinions publiques à l’égard de l’immigration dans 23 pays5, 45% des personnes interrogées jugent que l’immigration a eu un impact négatif sur l’économie nationale. Avec une proportion équivalente à 72%, la Belgique se positionne en tête, loin devant le Canada (35%), la Suède (36%), la France (54%), l’Allemagne (54%), l’Espagne (55%) et l’Italie (56%).

 
En toute logique, cette opinion négative à l’égard de l’immigration devrait être concordante avec les réponses relatives aux effets de l’immigration sur l’économie nationale, les services publics et sur les perspectives d’emploi des natifs. Tel est le cas. Selon le même sondage, 68% des Belges interrogés partagent l’idée selon laquelle les immigrés ont exercé une grande pression sur les services publics (transports, éduction, santé,…) dans le pays. La Belgique arrive en 3e position sur les 23 pays, derrière le Royaume-Uni (76 %) et l’Espagne (70%). Une proportion équivalente de Belges (68%) juge que l’immigration n’est pas une bonne chose pour l’économie nationale. En revanche, pour seuls 28% des Belges interviewés, l’immigration n’a pas d’effet sur les perspectives d’emploi des nationaux.

 
Un grand nombre de Belges considère que les immigrés doivent faire l’effort de s’intégrer, ignorant que ce processus nécessite que la société d’accueil soit ouverte à l’intégration. Or, les résultats d’enquêtes auprès de l’opinion publique semblent indiquer que l’immigration et les immigrés suscitent de nombreuses craintes irrationnelles de la part d’une majorité de Belges, à l’image de ce que l’on observe au niveau des autres pays européens. L’enquête sur les valeurs européennes (EVS) fournit une bonne illustration à ce sujet. Loin de toute dramatisation, selon la dernière vague de l’EVS (2008), plus d’un Belge sur deux juge qu’il y a trop d’immigrés dans le pays (57%), que les immigrés représentent une charge pour la sécurité sociale (59%) et qu’ils accentuent les problèmes de criminalité dans le pays (55%). Cette même source révèle également que quatre répondants sur dix (40%) considèrent que les immigrés prennent le travail des gens nés en Belgique.

 
Par ailleurs, il est largement admis que l’intégration économique des individus constitue le premier pas vers leur intégration sociale et culturelle6. Or, les conclusions de certains travaux, par exemple, ceux de Martens et Ouali (2005), Arrijn et al. (1999) et Ouali et Cennicola (2013), mettent en évidence que les immigrés se trouvent confrontés une grande discrimination en matière d’accès à l’emploi en Belgique.
Contrairement à une idée très largement répandue au niveau de l’opinion publique, les employeurs ne sont pas les seuls acteurs dans les comportements discriminatoires à l’égard des immigrés. Depuis les travaux pionniers de Gary Becker, notamment son ouvrage célèbre « The Economics of Discrimination », publié en 1957, on sait que la sous-représentativité de certains groupes d’individus sur le marché du travail résulte de ce que l’auteur qualifie de « discrimination taste » (goût personnel pour la discrimination) de la part de trois acteurs : les employeurs, les employés et les consommateurs. Dans l’analyse de Becker7, cette « discrimination pure » traduit les préférences des employeurs à embaucher les personnes appartenant à un groupe spécifique plutôt qu’un autre, ainsi que l’aversion des employés et des consommateurs de travailler ou d’être en contact avec les personnes membres du groupe discriminé. Le goût de ces deux derniers agents pour la discrimination sera relayé par l’employeur au moment du recrutement.

S’appuyant sur les résultats de l’enquête EVS, et particulièrement ceux relatifs à la question «Quand les emplois sont rares, les employeurs devraient embaucher en priorité des Belges ?», cet article a pour objectif de répondre aux questions suivantes : les Wallons sont-ils plus favorables à l’immigration que les autres belges? Quels sont les individus favorables à la discrimination à l’égard immigrés en termes d’accès à l’emploi ? Existe-t-il un lien entre les préjugés, les fausses idées à l’égard des immigrés et de l’immigration et les préférences des individus pour cette discrimination? Malgré le fait que les données de l’enquête EVS sont librement accessibles aux chercheurs, et ce de longue date, ce travail constitue à notre connaissance la première étude empirique qui porte sur le sujet. Le reste de l’article s’organise comme suit : la section 2 sera consacrée à l’analyse des perceptions de Belges et des citoyens européens par rapport aux immigrés et à l’immigration. Les médias et les sondages d’opinion projettent souvent l’image d’une Flandre ultranationaliste, ce qui laisserait suggérer que le nord du pays serait plus xénophobe que le sud. En exploitant les données régionales de l’EVS, la section 3 vise à vérifier s’il s’agit d’une réalité ou un simple cliché. Dans la section 4, un modèle économétrique est estimé afin d’identifier le profit des individus favorables aux pratiques discriminatoires à l’égard des immigrés sur le marché de l’emploi et d’identifier la nature du lien entre d’une part, les préjugés et les fausses idées à l’égard des immigrés, et d’autre part le souhait de pratiques discriminatoires à l’égard des travailleurs d’origine étrangère. La section 5 est consacrée à la remise en question des idées fausses à l’égard des immigrés et de l’immigration. Enfin, la dernière section est consacrée aux conclusions et à la formulation de quelques recommandations.

 

 

Source : IWEPS, Working paper, n° 14, 2013.

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